Les rappelés arrivent
rideau
les rappelés arrivent en algerie

Et les rappelés arrivent. A pleins bateaux. Selon la loi, ils sont disponibles, alors on les fait venir. Ce ne sont plus des gamins. Ils sont, comme on dit, entrés dans la vie. On les en arrache d'un jour à l'autre. Ils ne connaissent des événements d'Algérie que les bandes de fellaghas, hors-la-loi sauvages et assassins décrits par la presse. Le maintien de l'ordre relèverait plutôt de la police judiciaire, de la gendarmerie, éventuellement des C.R.S. Mais sans que le gouvernement veuille l'avouer, on s'est aperçu que c'était la guerre en Algérie.
France-Observateur, dès avril, combat violemment sous la signature de Claude Bourdet l'envoi de renforts en Algérie. Bourdet est arrêté, puis remis en liberté provisoire. Le ton est donné. Des manifestations populaires sont organisées pour empêcher le départ des rappelés. Des femmes se rouleront sur les voies, des rappelés plus énergiques que d'autres mettront à sac qui une caserne, qui une gare. On enverra les C.R.S. Et les hommes arriveront tout de même en Algérie. Ceux qui ont manifesté sont en minorité. Les autres subissent. Il faut obéir à la loi. Et puis ce qu'on lit sur les fellaghas justifie que l'on se déplace. D'ailleurs, il n'y en a pas pour longtemps.

Max Lejeune a expliqué son plan : Il s'agit de combattre un adversaire extrêmement mobile. Alors nous allons diviser nos moyens d'action en unités statiques, chargées de garder les points sensibles du territoire, et enunités légères motorisées ou héli­portées, capables de relier rapidement les précédentes entre elles. Ne recommençons pas les erreurs d'Indochine. Vive la stratégie opportuniste, celle qui ne va pas chercher ses références dans les règlements poussiéreux, mais qui répond par l'intervention aux interventions de l'adversaire...

Sous le soleil éblouissant, la baie d'Alger resplendit. Sur le quai, la fanfare accueille les rappelés. Ils débarquent. Ce sont les premiers. Les dames de la Croix-Rouge, la bonne société d'Alger, offrent friandises, chocolats, cigarettes à nos chers petits qui viennent de France pour nous défendre devant l'objectif complai­sant de L'Echo d'Alger qui va reproduire à des dizaines de milliers d'exemplaires le chapeau à fleurs de Mme Untel et la gueule ahurie d'un bidasse qui se demande ce qui lui arrive, qui a laissé sa famille de l'autre côté, qui a dégueulé sur le bateau, qui a les reins brisés par ce putain de sac qui contient toute sa fortune, et qui n'a rien à foutre de l'Algérie !
Car derrière les déclarations superbes des ministres, les flonflons de la fête, l'accueil émouvant réservé à ces braves métropolitains, c'est le vide complet. Les rappelés à de rares exceptions près ont été parqués dans des camps innommables où rien n'était prêt polir les recevoir, des paillasses ignobles dans des dortoirs poussiéreux, la « ragougnasse » qui dans les unités de transit sert de nourriture, pas un mot d'explication. A leur tour, quinze ans après, ils découvrent l'armée de 40 !

En fait de stratégie opportuniste, d'officiers qui négligent les règlements poussiéreux, la plupart des rappelés trouvent sur place les laissés-pour-compte de l'armée française. Les vieux colonels du type « le pacifi­cateur », des capitaines qui n'ont pas fait l'Indochine, qui ne veulent rien comprendre. En tout cas pas les fellaghas. Il y a ceux qui sont persuadés que de toute façon il faudra partir et qui transforment leur P.C. de secteur en fortin imprenable à l'abri duquel ils vivent tranquillement, qui ne font jamais sortir leurs troupes à moins d'une compagnie et les font rentrer à 3 heures de l'après-midi en doublant la garde, laissant le bled et sa population pour quinze heures aux hommes de l'A.L.N.
Il y a ceux, plus nombreux, qui disent communément : notre dernière chance, c'est l'Algérie... Si on la perd, notre carrière est morte.  Et ce genre de capitaine qui a sa villa réquisitionnée, qui a fait venir bobonne et les gosses, qui a ses deux fatmas, qui gagne bien sa vie et surtout qui est considéré se voit mal revenir à Romorantin où il ne sera guère plus qu'un contre­maître dans une bonne usine,  les colonialistes c'est eux. Dans leur garnison algérienne, ils dînent en ville, chez le juge, le notaire, le toubib. Ils sont tout-puissants et respectés.
Voilà donc les chefs que l'on réserve aux rappelés. Sans préparation psychologique, sans qu'on leur ait appris ce qu'est l'Algérie, les pièges que recèle le terrain, la position politique du F.L.N., ce qui conduit ces va-nu-pieds à tenir en échec une armée qui maintenant compte près de 300 000 hommes, on les lâche dans la nature. Après les incidents que la plupart ont vécus au départ, après l'ignominie des camps de transit, voilà l'armée d'Algérie qu'on leur offre. Car il faut bien se rendre à l'évidence, l'état-major réserve ses officiers d'élite à ce que Max Lejeune a baptisé unités légères, celles qui obtiendront des résultats : les autres, les bidasses, les rappelés, la Viande, c'est bon pour garder les points sensibles du territoire.

rappelés pour l'algerie
les rappelés arrivent en algerie
les rappelés arrivent en algerie
anecdote
accueil
Accueil
Les appelés